Experte en stratégie retail de marques depuis 12 ans, co-fondatrice de l’agence Retail Factory et intervenante chez MediaSchool Executive Education, Adeline Çabale arpente le monde à la recherche de nouveaux concepts Retail.
Face à la concurrence de plus en plus accrue du e-commerce, peut-on dire que les boutiques physiques sont en voie de disparition ?
Même si le shopping en ligne progresse chaque année, les chiffres montrent que l’essentiel des achats continue de se faire dans les magasins physiques. Je ne pense donc pas que ces derniers disparaissent. Néanmoins, le secteur est en plein bouleversement car le client n’achète plus aujourd’hui comme il y a 5 ans. S’ils veulent subsister, les magasins vont devoir se réinventer. Selon moi, ceux qui s’en sortiront seront ceux qui proposeront une expérience singulière : un accueil sympathique et expert de la part des vendeurs, de l’émotion, de la connaissance et reconnaissance client, des services comme la livraison express, de l’agilité comme la possibilité de commander un article non disponible depuis le magasin et de le livrer chez le client, de l’information sur les stocks en temps réel, etc. Bref, toutes ces petites choses qui rendront service au client et lui feront sentir qu’il n’a pas perdu son temps en venant en magasin.
Quel est le profil de consommateur aujourd’hui ? En quoi est-il différent d’hier ?
Le client de 2017 est plus pressé, plus exigeant et plus « expert ». Il s’attend donc à une expérience client plus poussée, « phygitale » comme certains l’appellent, c’est-à-dire « omni-canale ». On observe également un nouveau phénomène chez les Millenials qui ne manifestent plus le besoin de posséder nécessairement mais plutôt d’expérimenter. L’émergence de concepts comme « Rent The Runway » aux Etats-Unis ou « L’Habibliothèque » en France qui, avec l’aide du digital, mais aussi via des points de vente physiques, proposent de la location de garde-robe, illustre cette tendance. Et je lui prédis un bel avenir, car à l’ère de la surconsommation, on peut très bien imaginer demain ne plus acheter ses vêtements mais les louer, et en changer de manière très fréquente au gré́ de ses envies.
Comment doit se traduire, selon vous, la digitalisation des boutiques ?
Le digital en magasin doit être intégré de manière pragmatique et réfléchie. Equiper ses boutiques d’écrans ici et là n’a pas de sens et est très coûteux. On a vu beaucoup de marques installer des outils « gadgets » ces dernières années, souvent en panne au bout de quelques mois, et laissés à l’abandon… Il s’agit donc au préalable de définir une véritable stratégie : quel outil digital pour quelle utilisation ? La première chose est de choisir des outils « utiles » au vendeur. Par exemple, des tablettes lui permettent de consulter les stocks, d’avoir la main sur le compte CRM du client, de faire de l’encaissement mobile, de commander un article en ligne et de le faire livrer chez le client. Ces outils digitaux sont peu visibles, mais ils permettent aux vendeurs de satisfaire pleinement les attentes des clients. Il est difficile aujourd’hui de penser qu’un client qui se déplace dans une enseigne (qui vend en ligne et en physique) puisse se voir refuser la vente d’un produit sous prétexte que le magasin ne l’a pas. C’est là qu’apparaissent les ponts à construire entre le magasin et le site Internet pour entrer pleinement dans l’ère de l’omni-canal.
On parle sans cesse de la digitalisation des marques, mais qu’en est-il réellement ?
Aujourd’hui, encore peu d’acteurs sont passés au stade de l’omni-canal, c’est-à-dire à la phase où le client se voit offrir une expérience fluide et cohérente, qu’il achète en ligne ou bien en magasin. En effet, cela demande des investissements coûteux dans les systèmes d’information et un changement de pensée « orientée client » dans tout le fonctionnement de l’entreprise. La France est un pays encore assez timide sur le sujet. Les Etats-Unis sont très en avance. Je m’y rends chaque année pour animer un Retail Tour à New York pendant la NRF (i.e. : le plus grand salon du Retail au monde), et je suis à chaque fois bluffée par la multitude de nouveaux concepts qui s’ouvrent. Les Américains ont le sens du service et ont compris que le magasin doit être un prolongement physique de l’expérience online et vice-versa.
Certains secteurs sont-ils plus en avance que d’autres en termes d’innovation ?
Le secteur de l’ameublement a fait un véritable pas en avant avec la mise en place de magasins showroom (i.e. : sans stock) pour faire essayer le produit avant l’achat. De même, le secteur de l’équipement sportif est très avancé, avec la proposition de customisation de produits ou encore la digitalisation des vendeurs. Les acteurs de ce secteur surfent également sur un véritable phénomène de « Retail communautaire » avec la création d’une multitude d’événements dans le magasin, autour du sport, pour inciter les clients à se rencontrer régulièrement dans le point de vente (on peut citer à titre d’exemple le nouveau Décathlon City à Paris 15, mais aussi Nike et Lululemon).
A l’inverse, le secteur de l’alimentaire est sur ses gardes face à la multitude de services qu’Amazon développe avec le Prime… Ce dernier est très en avance aux Etats-Unis avec son service Amazon Dash, un petit outil scanner/micro que le client a chez lui et qui lui permet de faire ses courses depuis sa cuisine en scannant ses produits manquants. Ce service est actuellement en cours d’étude par les supermarchés français qui ont compris la menace Amazon.
Que pensez-vous de l’ouverture des magasins type showroom. Ce type d’expérience est-il selon vous l’avenir des boutiques ?
Les magasins showroom ont vu leurs limites ces dernières années. Je pense que le fonctionnement en showroom (c’est-à-dire pas de stocks sur place, seulement des produits en display pour essayage et commande en ligne) n’est pas adapté́ à tous les types de produits. Par exemple sur la beauté́ ou sur la mode/accessoires féminins cela marche moins bien car les femmes quand elles font du shopping veulent avoir le produit tout de suite. L’exemple le plus frappant ces derniers mois est celui de L’Appartement Sezane qui avait initialement ouvert en showroom et qui propose aujourd’hui des stocks sur la majorité de ses produits. En revanche sur du mobilier (produits gros/encombrants) ce modèle est très adapté comme chez Made.com, AM.PM ou encore La Redoute Intérieurs. De même que l’on a vu ce modèle très bien fonctionner sur de la vente de mode masculine car les hommes sont le plus souvent des acheteurs pressés et pragmatiques. Par exemple, chez Bonobos aux Etats-Unis, ils viennent au magasin showroom une fois par an, passent une heure avec leur vendeuse, refont leur garde-robe et repartent les mains vides : leur commande sera livrée chez eux quelques jours après. Et cela leur va très bien !
Un autre concept store qui pourrait se développer à l’avenir ?
Avec le lancement il y a quelques semaines d’Arket, le groupe H&M vient proposer une expérience shopping nouvelle : des lieux esthétiques, au merchandising travaillé, mixant plusieurs typologies de produits (mode, accessoires, beauté, décoration, café) et qui vendent un véritable « lifestyle » à leurs clients. A l’ère d’Instagram, où tout n’est que diffusion « d’esthétisme » en continu sur nos écrans, ce type de concept colle parfaitement à l’ère du temps et aux envies des consommateurs d’aujourd’hui. Le magasin vient d’ouvrir à Londres et prévoit un déploiement en Europe dans les mois à venir, et je pense qu’il aura un écho positif chez les consommateurs en recherche de nouvelles expériences d’achat.
Retrouvez Adeline Çabale sur son compte Instagram @lechevitrines et sur son site internet retailfactory.fr