Laurence Darbonnel, directrice marketing, digital et communication chez Hoya Lens France, est experte dans le domaine du retail, et plus particulièrement l’optique.
A la suite de la rédaction d’un mémoire sur le sujet, elle nous explique les enjeux de la digitalisation pour les magasins physiques.
Dans le cadre de votre Executive Mastère Communication Marketing et Transformation Digitale (CMTD) chez MediaSchool Executive Education, vous avez rédigé un mémoire sur « le retail : Web to Store et digitalisation du secteur de l’optique ». Pourquoi traiter ce sujet ?
Mon objectif était d’associer la transformation digitale au secteur de l’optique, un domaine large et à fort potentiel qui a déjà été touché par l’émergence du digital. C’était important pour moi de situer l’enjeu de l’impact du digital sur le comportement du consommateur. Je voulais comprendre comment le retailer doit s’adapter en permanence et remanier l’ensemble de sa stratégie de communication et de marketing pour coller à cette réalité.
Quel est l’impact du digital sur le comportement du consommateur ?
Le consommateur est omnicanal et il s’attend à trouver les mêmes services sur le web que dans les magasins. De plus, malgré ce que l’on pourrait croire, 90 % des ventes se font encore dans un lieu physique. Pour que le magasin reste le lieu de vente par excellence, il doit se réinventer, en devenant un espace d’expériences associé à la stratégie digitale. Une adaptation qui demande un grand remaniement dans le domaine du retail et qui engage l’ensemble de l’organisation de l’entreprise (marketing, RH, ventes…).
Comment transformer justement les magasins grâce au digital ?
Nous sommes tous des consommateurs mais on n’a pas toujours compris en entreprise comment changer pour s’adapter au consommateur que nous sommes. Le challenge est donc d’abord de faire évoluer l’ensemble de l’organisation vers cette approche de changement. Prenons comme exemple le principe du « Click and Collect » qui consiste à commander un produit sur Internet et à le récupérer en magasin. L’objectif initial est de faire gagner du temps au client. Or, aujourd’hui, ce service n’est pas toujours bien organisé ; on fait une queue infinie pour récupérer sa commande et on met finalement autant de temps que si l’on était venu l’acheter directement sur place. Cela ne fonctionne pas car il y a incapacité à faire matcher l’évolution numérique avec la réalité humaine, puisqu’au final ce sont les humains qui gèrent encore l’essentiel des services. C’est pourquoi il faut les faire adhérer et les rendre acteurs de cette évolution.
Ensuite, il faut digitaliser le lieu de vente avec des outils à forte valeur ajoutée — et non pas des gadgets —, qui vont apporter un service complémentaire avéré au consommateur.
Où en est-on aujourd’hui dans la digitalisation des magasins ?
Dans le domaine du retail, on fait beaucoup de tests pour savoir si des idées sont exploitables ou non. Pendant les recherches pour mon mémoire, j’ai toutefois été marquée par le fait qu’il y a un énorme décalage entre les moyens développés, le discours des marques et ce qui se passe réellement. De grandes enseignes comme Sephora ou Darty investissent fortement dans des innovations mais les résultats sont encore à optimiser. A Sephora Flash, rue de Rivoli à Paris, plus de 70% des objets connectés ne sont plus opérationnels. Idem à Darty de Beaugrenelle (Paris 15), le wifi ne fonctionne pas une fois sur deux et les vendeurs censés être tous équipés de tablettes renseignent la plupart du temps les clients sur leur ordinateur.
J’ai également été marquée par la différence de moyens mis en œuvre au niveau territorial. Les mégapoles comme Paris sont au rendez-vous mais ça ne suit pas en région. Il existe des déserts digitaux même dans des grands pays comme la France. Pourtant plus on est éloigné du centre et plus on a besoin de service. Le champ des possibilités est énorme pour couvrir cet espace.
Le retail appliqué à l’optique est-il différent des autres secteurs ?
Oui, car le marché de l’optique porte sur la santé. L’attente des consommateurs est différente et l’évolution du marché aussi. L’optique se digitalise par exemple très fortement avec des produits innovants. De plus, contrairement à la grande distribution, le voyage ou encore l’électronique qui s’achètent de plus en plus sur le web, l’optique ne fait que 5 % de son chiffre d’affaires sur Internet, et ce essentiellement pour les lunettes solaires et les lentilles. Pourquoi ? Parce qu’acheter des lunettes représente un coût conséquent et un achat de longue durée (2 à 3 ans). Ce sont des produits relatifs à la santé qui nécessitent le contact avec un professionnel, notamment pour la prise des mesures. Outre une communication sur Internet indispensable, la digitalisation doit donc passer principalement sur le lieu de vente.
Comment imaginez-vous les magasins d’optique du futur ?
Le lieu de vente doit devenir un lieu d’expérience et non pas un lieu fastidieux où l’on vient acheter un produit de santé. Cela va passer notamment par la mise en place d’outils pour que le client voie avant l’achat les bénéfices des verres, à travers par exemple des tablettes, la réalité augmentée ou virtuelle, comme cela se fait déjà pour l’immobilier. Ce genre d’opération aujourd’hui reste discrétionnaire mais tend à se développer car très apprécié par les consommateurs. Il va aussi y avoir la mise en place d’outils liés à la prise de mesures digitales pour créer le verre le plus parfait dans la monture la plus parfaite. Par exemple, en parallèle de mon mémoire, je travaillais l’année dernière sur le lancement de Yuniku, qui permet une expérience d’achat inédite dans le sur-mesure. Cet équipement va scanner le visage du client, le modéliser et concevoir une monture 3D en prenant en compte divers paramètres (l’ordonnance, le style de vie du client et l’historique de sa vision). L’optique propose ainsi des innovations dans le domaine du retail qui sont assez fabuleuses et qui n’ont pas d’équivalent dans d’autres activités. Elles auront aussi nécessairement un impact favorable sur la réduction des stocks.